Le pélerinage à Saint Probace.

Publié le par Cipion

LE PELERINAGE A SAINT PROBACE.

Tourves, gros bourg du centre Var, a la particularité d’être, depuis des siècles, « protégé » par un saint méconnu du grand public. Il s’agit de PROBACE, Saint PROBACE, qui de la chapelle qui lui est consacrée, là-haut sur la barre rocheuse dominant, au sud, le village, paraît veiller sur la quiétude et la sérénité des tourvains.

Les tourvains ? Parlons-en ! Certains d’entre-eux sont persuadés que PROBACE, le protecteur, peut tout faire, ou presque, à leur demande : faire tomber ou faire cesser la pluie, protéger de la grêle et de la foudre, amortir une chute, sauver une vie, guérir la maladie….. TOUT, sauf…. arrêter le mistral à qui, cependant, le vieil amandier qui trône prés de la chapelle a toujours résisté. D’autres…tourvains, mécréants sur les bords, osent dire –jusqu’à présent à voix basse- que ce PROBACE n’a jamais existé que dans la mémoire imaginative des anciens et surtout qu’il ne possède aucun de ces pouvoirs supposés.

Le petit conte que je veux vous raconter aujourd’hui va dans ce sens mais peut-être laisse-t-il planer un doute. A vous de voir !

Ce conte est un peu magique, comme disent les enfants, les minots, de notre temps. Il s’inspire d’une vieille histoire que me racontait un vieux voisin un peu farfelu mais conteur de talent. Son cadre est étonnamment la campagne tourvaine. Beaucoup vont reconnaître les lieux et peut-être les hommes car ils ne sont pas tous le fruit de mon imagination.

Il était une fois dans notre commune, du coté de saint Julien, sur la route de Toulon, dans un jardin mi-potager, mi-d’agrément, parfaitement entretenu par Théophraste Barbaroux, un métayer qui vendait parfois quelques légumes à Boutigon, un épicier du village qui avait pignon sur rue…certains doivent s’en souvenir…au N°15 de la rue du ballon, actuellement rue du jeu de paume.

Il était une fois ou, plutôt, il y avait une fois dans un coin ensoleillé de ce jardin, une petite fourmi, un œuf –pondu le matin même – et une cigale. Ne vous méprenez pas, je ne vais pas vous raconter une version nouvelle de la « cigale et la fourmi » agrémenté d’un œuf frais. Non, non, ils étaient là, ensemble, pour les besoins de mon histoire et surtout, surtout car ils venaient de décider, à l’unanimité, de faire un pèlerinage à saint PROBACE.

Vous voyez, d’ici, l’itinéraire ! Car il n’était pas question de prendre la route départementale encombrée de charrettes quand ce n’était pas ces nouveaux carrosses à moteur qui dégageaient des fumées nauséabondes. Ils avaient décidé d’y aller tout droit. Il leur fallait donc…suivez-moi bien….monter sur le plateau de Cassède, descendre sur le Carami et remonter sur la barre de saint PROBACE. Ils devaient en avoir des choses à se faire pardonner !

Face à ces difficultés, ils décidèrent de ne jamais se séparer (l’union faisant la force) quel que soit le temps…beau ou non ! Quant à l’organisation du voyage, rien n’avait été laissé au hasard. Il fut convenu que l’œuf serait le navigateur responsable du bon chemin ; la fourmi –vous vous en doutiez – s’occuperait de la nourriture et…la cigale –devinez ? – pousserait la chansonnette pour encourager l’équipe à l’effort.

Au départ, le chemin était doux. C’était de bonne heure, un jeudi matin (1), les enfants dormaient encore. Le soleil commençait à poindre dans leur dos, la rosée étincelait à leurs pieds, pardon !… c’est de leurs pattes qu’il s’agit. C’était une journée splendide où tout tressaillait de joie et de plaisir comme seule notre région peut en offrir. En chemin, ils croisèrent Vittori, le berger, qui conduisait ses chèvres vers le vieux clos et furent dépassés par le vélo de Bert, le facteur…vous savez Albert Pourchier, le papétoun de Marie-Paule ( chanteuse-compositrice d’un groupe provençal du village).

L’œuf toujours le premier réveillé dit : « Il fera doux aujourd’hui, nous pourrons aller à notre aise ». La cigale ne voulant pas être en reste ajouta : « Il fera chaud aujourd’hui, nous aurons du soleil longtemps » et, pour elle, le soleil c’était un gage de chansons. La fourmi, après un assez long effort pour vaincre sa timidité, s’écria : « Il fera beau aujourd’hui, nous trouverons sans peine de quoi manger ».

Cependant, dans une haie voisine, le grillon –le cricri – et, à la cime d’un petit cyprès, le rouge-gorge –le rougaï – essayèrent par leur propos de modérer ce bel optimisme. Tous deux, en chœur –quel duo ! – chantèrent :

« Celui qui demeure sous son toit

S’il ne gagne rien, il ne perd rien non plus »

Refrain démobilisant, vous en conviendrez ! Cependant, rien ne pouvait troubler la belle sérénité de nos trois randonneurs. La fourmi, l’œuf et la cigale continuèrent à cheminer.

C’est en traversant le plateau de Cassède, avant d’atteindre le cabanon de Pinié, qu’ils commencèrent à déchanter car à quelques pas de là, l’œuf bousculé par un perdreau en goguette, perdit l’équilibre et se cassa.

En abordant la descente vers le Carami, un nuage couvrit le soleil et la cigale grelottante, craignant d’avoir encore plus froid dans le fond, refusa d’aller plus loin.

Ainsi, la pauvre mais courageuse fourmi se vit obliger d’essayer d’achever seule et péniblement ce pèlerinage vers le saint protecteur.

Sur le tard, elle arriva au bord du « fleuve » : le Carami. Sur l’autre rive, des enfants du village profitant de cette journée sans classe (1) pour cueillir du thym et du pèbre d’aïl, ramenaient leur cueillette dans des sacs et des paniers qu’ils allaient remettre à M. Coutelin dit Faligre afin qu’il les expédie à des usines pharmaceutiques –maintenant nous disons des laboratoires -. Ils paraissaient heureux, ces enfants, après une belle journée de plein air. Mais, notre fourmi, ne partageait pas leur gaieté. « Ils avaient peut-être bien raison le cricri et le rougaï, ce matin » se dit-elle.

Le froid était tombé dans la vallée et l’eau du fleuve commençait à être prise par les glaces. La fourmi, voulant gagner du temps, décida de ne pas aller jusqu’au pont romain et de franchir le Carami sur la glace mais…la glace légère se rompit et se referma sur une des pattes de la fourmi et la cassa…crac et ouille !

A moitié évanouie sous la douleur, la fourmi geignit et balbutia : « Ô gelée, gelée ! que tu es forte d’avoir cassé la patte à la pauvre fourmi alors qu’elle s’en allait faire un pèlerinage à saint PROBACE ». A sa grande surprise la gelée, flattée sans doute, lui répondit : « Tu sais, il y a plus fort que moi : le soleil qui me fait fondre ».

Dans son délire, la petite fourmi continua sa plainte : « Ô soleil, soleil ! que tu es fort, toi qui fais fondre la gelée qui vient de me casser la patte, à moi la petite fourmi qui allait faire un pèlerinage à saint PROBACE ». Le soleil qui s’effondrait à l’horizon n’eut que le temps de lui répondre : « Oh ! Tu sais, le nuage est plus fort que moi, il arrive parfois à me couvrir complètement ».

La petite fourmi, la tête vide, reprit sa plainte : « Ô nuage, nuage ! Que tu es fort, toi qui peut couvrir le soleil qui a fait fondre la gelée qui vient de me casser la patte, à moi la petite fourmi qui allait faire un pèlerinage à saint PROBACE ». Le nuage, rougissant de plaisir dans le soir, répondit avec modestie : « Merci petite fourmi mais, tu sais, le vent est plus fort que moi, il m’emporte souvent très loin vers la mer » (Il s’agissait, bien sûr, du mistral ).

La petite fourmi, abasourdie, continua cependant sa plainte : « Ô vent, vent !que tu es fort d’emporter le nuage qui a couvert le soleil qui a fait fondre la gelée qui venait de casser la patte de la fourmi qui allait faire un pèlerinage à saint PROBACE ».

Le vent gonfla ses joues de plaisir et lui souffla dans l’oreille : « Là-haut, le mur de la chapelle est encore plus fort que moi car cela fait des siècles qu’il me résiste, qu’il m’arrête ».

La petite fourmi épuisée persista dans sa plainte : « Ô mur, mur ! que tu es fort, toi qui arrête le vent qui emporte le nuage qui a couvert le soleil qui a fait fondre la gelée qui venait de casser la patte de la petite fourmi qui allait en pèlerinage à saint PROBACE ». Le mur entre ses dents qu’il tenait serrées pour résister au vent, ajouta : « La terre est plus forte que moi encore, c’est elle qui me rend aussi solide ! »

A bout de force, la petite fourmi murmura : « Ô terre, terre ! que tu es forte toi qui affermis le mur pour qu’il résiste au vent qui a chassé les nuages qui ont couvert le soleil qui a fait fondre la gelée qui a cassé la patte de la petite fourmi alors qu’elle allait en pèlerinage à saint PROBACE ». Dans un grondement terrifiant la terre répondit : « Le Bon Dieu, lui, est bien plus fort puisqu’il m’a créée ! ».

Alors, la petite fourmi à demi-morte, renouvela sa plainte : « Ô Dieu, Dieu ! que tu es fort, que tu es bon, d’avoir créé la terre qui affermit le mur de la chapelle qui résiste au vent qui a chassé les nuages qui ont couvert le soleil qui a fait fondre la gelée qui a cassé la patte de la petite fourmi qui voulait aller en pèlerinage à saint PROBACE ! ».

Dans un silence de cathédrale, Dieu s’interrogea : « Saint PROBACE ? Ques a quèu ? Qui que c’est cui-là ? ». Puis, il ajouta : « Il sera temps d’y penser…plus tard, cette petite fourmi téméraire à l’agonie me fait pitié, elle a bien du mérite, il faut que je la sorte de là ». Et il commanda : « Que la terre tremble ! » Et la terre trembla…..du coup le mur se fendit, le vent passa, le nuage s’enfuit vers le sud, le soleil brilla, la gelée fondit et….la pauvre petite fourmi, retirant sa patte avec peine et grimaces, repartit en claudiquant pour achever péniblement son pèlerinage à saint PROBACE…. qui, pour une fois, n’y était pour rien !

Magique ? Non ? Je vous l’avait dit.

(1) A cette époque le jeudi était chômé pour les élèves de nos écoles.

Publié dans contes

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