Le sentier des bugadières

Publié le par Cipion

 

C'était du temps, déjà lointain, où les maîtresses de maison tourvaines allaient au lavoir pour laver leur linge dans l'eau fraîche de la Foux. Du temps des années  1900/1910, je crois. Il y a donc largement prescription, c'est pourquoi je prends la liberté de vous raconter cette  petite histoire.

Par ailleurs, bien sûr, toute ressemblance avec une ou des personnes existantes ou ayant existées ne serait que pure coïncidence.

Ceci dit, sachez que je vais mettre en scène un curé ou plutôt deux ( vous savez toute la tendresse que m'inspirent ces ministres du culte) et de saintes épouses tourvaines comme….non, je ne les citerai pas…., toutes plus adorables les unes que les autres.

S'agissant des ecclésiastiques, je ne peux m'empêcher de citer un texte de Paul Arène, un de nos plus grands poètes provençaux, qui dans "les contes de partout (1)" écrivait : "Ma foi, oui, j'ai un faible pour les curés! Non pas ceux de la fabrique nouvelle, théoricien hargneux et secs, à qui le séminaire fait oublier le village, mais le bon curé d'autrefois gardant un peu de sa terre natale au bord de sa soutane;  pas trop saint, pas trop détaché des joies humaines; le curé à moitié paysan dont la simple vie, mélange harmonieux de matérialisme et de spiritualité,   est comme le jardin de son presbytère, où poussent à la fois des roses et des choux. De ces agréables curés que les voltairiens les plus déterminés sont toujours heureux de rencontrer au hasard de leur promenade ou d'une partie de chasse. J'en ai connu plusieurs - c'est toujours Arène qui parle - j'en ai connu un surtout : l'Abbé Bourgeon." Moi, je n'ai pas connu l'Abbé Bourgeon, pas plus d'ailleurs que les héros de ma petite histoire mais la mémoire collective du village m'a rapporté, par bribes, les faits. Je vais essayer d'en faire la synthèse. Par avance je vous demande à vous lecteurs ou auditeurs, de bien vouloir m'excuser des imprécisions ou erreurs chronologiques.

Nous sommes donc en 1905 ou 1906, à Tourves. Le père curé est alors Gaston Durand, très sérieusement connu pour avoir défendu, avec succès, son idée de création d'une confrérie en l'honneur de Saint Probace, le protecteur du village.

Cela faisait prés de 50 ans que le père Gaston exerçait son sacerdoce dans la paroisse de Tourves à la satisfaction générale malgré les tensions occasionnées par la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Dans notre village, partagé, comme beaucoup d'autres, entre les" blancs" et les" rouges", il était le seul à faire l'unanimité. Il était accueilli tout aussi cordialement sur le cours, au Cercle (chez les rouges), qu'au Modern'bar, sur la place (chez les blancs). Il n'hésitait jamais à trinquer avec Robert Recourt -familièrement appelé Bob - le maire du village, libre-penseur, franc-maçon, radical-socialiste mais plutôt bon garçon pas trop fier et serviable. Une étrange amitié s'était d'ailleurs instaurée  entre eux. Lorsqu'il leur arrivait de s'affronter oralement, les témoins prenaient plaisir à assister à leurs échanges plus encore qu'à une partie de boules - c'est pas peu dire! -

Toutefois le père Gaston se faisait vieux, très vieux même. Il souhaitait mourir à la tache, il l'avait dit : "en chaire, tè! " mais il avait de plus en plus de trous de mémoire et il lui arrivait même de s'assoupir pendant les lectures de l'office dominical oubliant, peut-être, qu'il n'y assistait pas mais qu'il le célébrait. Il était temps qu'il prenne sa retraite...bien méritée. L'évêque, pour une fois, me semble-t-il, non informé par une lettre anonyme (les tourvains n'en sont pas avares), en pris conscience lors du Pardon du 3 mai 1903 et l'amena gentiment à accepter de finir ses jours chez les moniales de St Maximin. Il lui envoya même sa propre calèche pour effectuer le déplacement. Ce jour là, le village, tout le village, toutes opinions confondues, avait voulu assister à son départ. La rue du Pont Gauthier ( de nos jours Sadi Carnot) était pleine de monde.

 

(1) "de partout" expression méridionale qui signifie "de toutes parts". Il est de notoriété publique qu'un guide du Château d'If, à Marseille, amenait les visiteurs sur les hauts des remparts et, s'accompagnant d'un large geste, leur disait doctement: "D'ici on voit la mer de partout", excusez du peu !!

 

 

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Le successeur, jeune  Abbé dont c'était le premier poste, avait été désigné. Il devait arriver avec la calèche mais, contretemps, il n'était pas là.

Le père Gaston était bien embarrassé, il ne pouvait retarder la calèche de  Monseigneur ni faire attendre les bonnes sœurs de St Maximin jusqu'à la nuit. De nature inquiète elles étaient capables, il le savait, de passer la nuit en prière.

"J'ai pourtant quelques consignes à lui passer" se désolait-il.

Alors, au nom de leur vieille amitié, Bob, le maire, proposa ses services : "Tu me dis ce que tu veux lui dire et je le lui dirait  fidèlement. Je n'ai pas tout à fait les mêmes idées que toi mais tu sais que tu peux compter sur moi, tu peux me faire confiance."

"Je le sais , dit Gaston, mais...l'affaire est plutôt délicate même très délicate."

Toutefois après mûres réflexions et prières, il prit le maire à l'écart et lui parla assez longuement à l'oreille. Même Reine, la sacristine, pourtant à l'oreille fine, ne perçu rien. Juste avant que le Père Gaston ne lui fasse ses confidences, Bob, un tantinet moqueur, murmura:" Je ne trahirai pas le secret de la confession". "Je ne te le demande pas dit  tout bas le curé, mais moi je ne pense pas la trahir en te disant que les femmes de Tourves ne sont pas aussi vertueuses qu'on veut bien le dire. D'ailleurs, tu le sais aussi bien que moi, n'est-ce pas?" En appuyant sur cette fin de phrase, Gaston regardait fixement Bob dans les yeux. Le maire éclata de rire en disant très vite: " Un cop faî pas puto", ce qui en traduction libre peut signifier  qu'il ne souhaitait pas la mort de la pècheresse et en traduction plus libre encore qu'on peut-être cocu et demeurer bon citoyen. Il n'en dit pas davantage sur le sujet car il se serait, peut-être, trouvé en position délicate de devoir reconnaître qu'il présidait un conseil municipal de "cornupètes" et, surtout,  qu'il n'était pas totalement étranger à cet état de fait.

Le Père Gaston poussa un long soupir et ajouta: "Voilà encore un méfait de l'école laïque". "OH! Dit le maire, nous n'allons pas nous fâcher aujourd'hui".

"Dieu nous garde !" dit très sérieusement Gaston.

"Ton Evêque doit commencer à s'impatienter, reprit le maire, alors venons en aux faits." Le vieux curé bredouillait de confusion. Il marmonna: " Ces choses là te paraissent naturelles mais, moi, elles me choquent et plus je vieillis, plus elles me choquent. C'est même, je te l'avoue,  une des raisons principales qui m'a poussé à accepter cette retraite. J'en ai assez d'entendre les femmes honnêtes me dire "mon Père j'ai encore trompé mon mari". C'est comme si je recevais un coup au cœur, d'autant que, la plus part du temps, je connais le mari, je le fréquente. Plusieurs fois j'ai failli mourir d'anévrisme. Et elles me donnent des détails que je ne leur demande pas. Il faut que je mette le holà. J'ai failli plusieurs fois rendre l'âme dans mon confessionnal !"

"Tu exagères peut-être un peu mais comment as-tu fait pour supporter tout cela, pour arrêter l'épidémie ?". " Voilà le fond du problème, reprit le Père Gaston    , car Je n'ai rien arrêté du tout mais chaque fois qu'une de ces malheureuses commence à me raconter ses turpitudes, je l'arrête et lui dit "Ma fille vous avez trébuché sur le sentier du lavoir...j'ai bien compris. Oui, vous avez trébuché…. Ne m'en dites pas davantage".

"Mais ça ne change rien au problème" dit Bob.

"Pour elles je ne sais pas mais, moi,  j'ai cessé de faire de mauvais rêves. Alors, pour conclure, il faut que tu reçoives rapidement mon successeur et lui transmettes mon message. Ce sont mes dernières volontés".

Là-dessus, les deux hommes tombent dans les bras l'un de l'autre et…..la calèche part en cahotant dans la rue mal pavée.

Monsieur le maire très ému s'essuya les yeux en disant : "Cette sacrée poussière…." et la vie du village continua.

Le nouveau curé qui se prénommé André arriva deux jours plus tard aux aurores, par la diligence. Le village dormait encore et il s'en réjouit car de nature timide il se troublait vite et se mettait alors à bégayer. Il sortait à peine du séminaire et la seule idée de son premier contact avec ses paroissiens le paralysait.

En revanche, curé de "fabrique nouvelle" comme le dirait Paul Arène, il était intransigeant sur les principes, avare de ses absolutions, généreux dans ses pénitences, rigoriste, irascible, taciturne, distant, tranchant, austère, peut-être même un peu arrogant et infatué de sa personne. En quelques sortes l'opposé du Père Gaston. Très rapidement il dilapida le capital de sympathie que son prédécesseur avait constitué en un demi-siècle de sacerdoce.

Toutefois les ouailles fidèles et….. les autres continuèrent d'aller à confesse par conviction ou…..par habitude et l'abbé André se réjouissait d'être le pasteur d'un troupeau si vertueux et s'en attribuait une bonne part de mérite.

Au début certaines "infidèles", pour ne pas braver sa colère -car il était aussi coléreux - hésitèrent à lui parler du sentier du lavoir. Pourtant, l'une d'elle, plus soucieuse que d'autres du salut de son âme, s'y hasarda un jour, timidement, et sa surprise fut de taille.

"Que me dites-vous là, ma fille ?" dit l'abbé.

"Que j'ai trébuche sur le chantier du lavoir, monsieur l'abbé"

" J'en suis sincèrement désolé, ma fille, mais cela n'a jamais été un péché"

" En êtes-vous sûr, mon Père, vraiment sûr ?"

" Je vous l'assure, on vous aura mal instruite. Maladresse n'est pas vice"

" Ah, bon alors…!"

"J'espère au moins que vous ne vous êtes pas fait mal ?"

" Mais pas du tout, mon Père, au contraire"

" Bénissez donc le ciel, ma fille, de sa bienveillance et allez en paix"

"Vous ne me donnez pas de pénitence ?"

" Au contraire, ma fille, je vous félicite de votre agilité"

"Ah, bon…"

En principe les femmes ne parlent pas de ces choses là entre-elles mais en principe seulement. Il ne fallut que quelques jours pour que se répande dans le cercle féminin du village ce bruit réconfortant : la doctrine de l'Eglise s'était modernisée. Non seulement elle ne condamnait plus les péchés contre la chair mais elle semblait les encourager.

Désormais le confessionnal de l'abbé André  ne désemplit plus et ce propagandiste de la foi s'en réjouit, non sans s'en attribuer tous les mérites.

Sa joie, néanmoins, n'était pas tout à fait entièrement pure, ni vierge de toute arrière pensée……. politique.

Nous le découvrirons le jour où il se décida de solliciter une audience au maire.

Au préalable, il avait constaté par lui-même que le sentier  du lavoir était en mauvais état.  Pas autant qu'il pensait mais en mauvais état. Toutefois, le fait était là, on y trébuchait de plus en plus souvent. S'en ouvrir au premier magistrat de la commune, garant du bon entretien des voies communales, serait pour lui l'occasion de donner une bonne leçon à ce mécréant de maire.

" Monsieur le maire, dit-il, je n'ai pas l'habitude de me mêler de ce qui à priori ne me regarde pas mais…."

Bob l'arrêta dans son envol." Je ne peux que vous féliciter monsieur l'abbé"

"Il s'agit cependant des intérêts supérieurs de la commune. Peut-être même, un jour, un problème de santé publique" ajouta, très vite, André.

" Comme vous y allez, Monsieur l'abbé mais je vous écoute et si ce que vous me dites concerne la gestion municipale vous pourrez compter sur moi, sur mon appui. Je ne sui pas sectaire….moi" . Répondit le maire en souriant." Bien, alors je pense, Monsieur le maire, qu'il faut mettre un terme au scandale. Il ne se passe pas un jour qu'on ne trébuche et même plusieurs fois par jour, sur le sentier du lavoir. J'ajoute même que c'est de plus en plus fréquent".

 Bob, le maire, entendant cela se frappa le front et en riant s'écria : "Nom de Dieu!.... Pardonnez-moi, cela m'a échappé" Et de rire de plus belle. Il s'apprêtait cependant à présenter ses excuses  de ne pas avoir transmis le message du Père Gaston lorsque que le jeune abbé le fusillant du regard et oubliant de bégayer, tant son indignation était grande, lui dit agressivement " Vous avez tort de rire, Monsieur "

Cette sentence ne fit que redoubler l'hilarité." Quand vous saurez pourquoi le ris, vous comprendrez, Monsieur l'abbé".

 " Je ne comprends qu'une chose, rétorqua vivement André, c'est qu'il vous ait totalement indifférent que vos administrés se rompent les os. Votre épouse ne vous a-t-elle pas dit qu'elle aussi avait assez souvent trébuché sur le sentier du lavoir, au moins trois fois la semaine dernière ? Et ce n'est pas le seul cas?

Alors, subitement, Bob cessa de rire et la conversation, au grand étonnement de notre jeune abbé s'arrêta là.

Toutefois, dans les jours qui suivirent, le maire fit remettre en état par ses services le sentier incriminé. Cette initiative n'a sans doute pas rendu son épouse plus vertueuse

  • Encore que…? - Mais elle prouve que l'infidélité d'une femme peut avoir les plus heureuses conséquences sur l'entretien des chemins communaux.

 

Rédigé en Août 2005, d'après une vieille histoire du terroir, reprise dans un texte de M. Yvan Audouard.

 

Publié dans contes

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